Pas si simple que « les gens quittent leur patron »

On entend souvent que « les gens ne quittent pas leur emploi, ils quittent leur patron ». C’est une formule accrocheuse, largement reprise dans les médias et les pratiques RH, mais une nouvelle étude publiée dans le Journal of Vocational Behavior montre à quel point elle simplifie à l’excès une réalité plus nuancée. Sabine Hommelhoff, Ferdinand Keller et Mark Stemmler ont analysé les raisons de départ volontaire sous différents angles : une revue de 78 études couvrant près de 900 000 employés, un sondage en ligne auprès de 197 travailleurs, et l’examen de 312 entrevues de départ dans une entreprise de logiciels.
Les résultats convergent : les employés invoquent rarement une seule raison pour quitter, mais plutôt une combinaison de trois ou quatre. La surcharge de travail et le stress en ressortent comme le motif d’évitement le plus fréquent, devant les problèmes avec les gestionnaires. Du côté des raisons d’approche, l’attrait de nouvelles opportunités et la perspective d’avancement occupent une place centrale. Dans l’enquête en ligne, plus de la moitié des répondants mentionnaient un désir de changement de carrière, 41 % parlaient de croissance professionnelle, tandis que 38 % évoquaient des conflits avec la direction. Dans les entrevues de départ, l’attrait d’autres emplois et les possibilités d’avancement dominaient largement, reléguant les « boss issues » au troisième rang.
Cette recherche met en lumière une distinction utile entre les départs motivés par l’évitement et ceux motivés par l’approche. Certains employés fuient le stress, les conflits ou une culture de travail jugée toxique, tandis que d’autres sont simplement attirés par de meilleures conditions ou des défis stimulants ailleurs. Les deux dynamiques coexistent souvent dans une même décision de quitter, ce qui explique pourquoi les récits simplifiés peinent à rendre compte de la complexité des parcours professionnels.
Pour les gestionnaires et les RH, la leçon est claire : réduire la rétention à la seule qualité du leadership direct, c’est risquer de passer à côté des véritables leviers. La surcharge de travail, structurelle dans plusieurs secteurs, reste un facteur central de départ, et l’absence de perspectives d’avancement alimente le roulement des meilleurs talents. Si les conflits avec les supérieurs demeurent un élément important, ils ne suffisent pas à expliquer la majorité des départs. Bref, la formule « les gens quittent leur patron » rassure par sa simplicité, mais elle empêche de voir la complexité réelle des décisions de carrière.