Plus un problème est vaste, plus on le juge bénin. C’est l’étrange constat de 15 études menées par Eskreis-Winkler, Troncoso Peres et Fishbach, publiées dans le Journal of Personality and Social Psychology. Leur équipe a démontré que lorsqu’on apprend qu’un problème touche des millions de personnes, on tend à croire qu’il fait moins de mal. Par exemple, mentionner que 4,2 millions d’Américains conduisent en état d’ébriété chaque mois suffit à faire baisser la perception du risque d’accident mortel. Même réflexe chez des professionnels du domaine pharmaceutique, qui jugent la non-observance des prescriptions moins préoccupante dès qu’on leur rappelle que 75 % des patients y contreviennent. Ce biais, qu’elles nomment le Big Problem Paradox, est robuste : il se manifeste chez les citoyens comme chez les experts, et dans des domaines allant de la santé publique à la criminalité.
Les autrices avancent une hypothèse simple : si un problème est aussi répandu, c’est qu’il a dû être pris en charge. Nous avons tendance à croire que le monde fonctionne assez bien, et que les gros problèmes ne restent pas sans réponse. Résultat : plus un phénomène semble courant, plus on pense qu’il est maîtrisé, même si c’est totalement faux. Dans une étude, on montrait à des participantes qu’une mutation génétique liée au cancer du sein touche plus de 300 000 femmes. Les participantes estimaient que cette mutation causait moins de risques… alors que le vrai taux de cancer associé est d’environ 80 %. Même lorsqu’un incitatif financier était offert pour donner une réponse précise, le biais restait bien ancré.
Ce paradoxe a des implications directes pour les professionnels RH, gestionnaires ou communicateurs. Vous voulez mobiliser autour d’un enjeu comme le harcèlement, l’épuisement ou la discrimination? Attention à ne pas trop insister sur sa fréquence. Dire qu’un problème est courant peut affaiblir la perception de son urgence. La prochaine fois que vous présentez des chiffres-chocs, n’oubliez pas : plus c’est répandu, plus ça risque d’être banalisé. Et ça, ce n’est pas juste contre-productif, c’est carrément contre-intuitif.